« Mais qu’est-ce que je fais là ? », la prise de conscience
En 2016, de retour de mon congé maternité au bureau pour exercer mon travail d’ingénieure, me voilà de nouveau derrière mon écran d’ordinateur. A ce moment là, je sens en moi comme un grand vide qui me dit « Mais qu’est-ce que je fais là ? ». Avez-vous déjà vécu ça, de retour de vacances par exemple ?
Bien sûr, en bonne ingénieure, je balaie rapidement d’un revers de main cette petite voix par un : « Oh, c’est normal, je viens de vivre un évènement marquant, il faut juste que je me laisse du temps pour reprendre mes marques. ».
Cependant, au fil du temps, cette petite voix revient de plus en plus souvent, prend de l’ampleur, et finit par crier, tandis que je tente de continuer mon travail comme si de rien n’était. Bien sûr, je ne suis plus très concentrée sur mes dossiers : je commence ainsi à faire des erreurs et en conséquence à vivre des échecs professionnels.
Le capharnaüm intérieur
Par la suite, je traverse une longue période de doute pendant laquelle je consacre beaucoup d’énergie à tourner en rond dans ma tête. J’échafaude des plans A (je continue mon travail en temps partiel ? ), B (je quitte tout pour être éducatrice Montessori ? ), voire C (ou alors passer le concours pour être instit’ ?) que je ne réalise jamais (pas envie, trop cher, trop long, pas assez de postes, etc).
Je cherche des idées dans des articles sur la reconversion professionnelle, je cherche l’approbation des autres (autant attendre un bateau à l’aéroport), bref je cherche des réponses à l’extérieur de moi.
En réalité, deux parts de moi à l’intérieur essaient de prendre la parole en même temps et ne s’écoutent pas.
La part « ingénieure«
D’un côté, il y a une part de moi que j’appellerais tendrement « ingénieure« , qui s’accroche à ce travail comme à une identité et qui a peur (sentiment S). Qui serais-je si je ne suis plus « ingénieure » ? Aurais-je toujours la reconnaissance de mes amis, de ma famille, de la société, une appartenance à un groupe, en d’autres termes, l’amour des autres (besoin B) ? Comment pourrais-je contribuer financièrement à mes besoins et à ceux de ma famille (B) ? Et puis, j’ai fait de longues études pour en arriver là, un beau début de carrière avec des sacrifices (j’ai travaillé à Paris : l’enfer sur terre pour la montagnarde que je suis !) et j’ai de l’expérience. Qui est cette autre part em…euse qui me fait tant peur à se la ramener constamment, comment la faire taire enfin ?
La part « girafe » (animal symbole de la CNV)
D’un autre côté, je sens bien que je me fais chier comme un rat mort je ne suis plus à ma place dans ce métier. La naissance de mon fils d’abord, puis la découverte de la CNV ensuite ont ouvert une porte vers une partie de moi-même qui aspire à des échanges humains riches et à une connexion à soi (B). Pour cette part, il devient intolérable de garder cette porte fermée toute la semaine. J’ai besoin de me réaliser à travers quelque chose qui a du sens pour moi (B).
C’est ainsi que certains aspects du travail d’ingénieure que j’aimais avant deviennent une torture au quotidien : être assise 9 heures par jour devant un ordinateur, les relations tendues avec certains clients, le stress des rendus, des mails, et des chantiers, les rapports parfois tendus avec ma hiérarchie, et les semaines qui s’enchaînent comme un rouleau compresseur impitoyable. Mais pourquoi la part « ingénieure » me fait-elle subir ça ?
Ce que dit la Communication NonViolente sur les différentes parts de soi
En CNV, on parle de différentes parts de soi dont les besoins semblent s’opposer et qui peuvent se faire la guerre. La CNV offre un espace intérieur de paix où chaque part peut exprimer et faire entendre à l’autre ses sentiments et ses besoins. Notre « grande girafe intérieure » (notre « moi » qui ne s’identifie à aucune de ces parts) peut écouter chaque part de manière à trouver éventuellement une solution qui satisfasse les besoins de chacune. Certains parlent de « médiation des parts de soi » (voir un exemple dans le paragraphe « Pour aller plus loin » ci-dessous).
Justement durant cette période, mes parts « ingénieure » et « girafe » se disputent et aucune ne veut écouter l’autre, ce qui me met dans un état de confusion intérieure qui m’immobilise et me rend malheureuse.
Bilan de compétences, bilan de sens © : le temps de l’écoute de la part « girafe«
C’est ainsi que, pleine d’espoir et de candeur, j’entame un bilan de compétences. Je passe ainsi des heures à remplir des questionnaires sur les compétences acquises dans le métier que je ne veux plus faire, des tests de logique qui me disent que j’ai une bonne logique mathématique (normal pour une ingénieure ? ), et d’autres tests de personnalité qui me disent qui je suis et à quoi j’aspire (vous auriez peut-être pu me poser directement la question ?). Bref, me voilà bien avancée.
Je fais alors appel à une coach spécialiste en reconversion professionnelle avec qui je fais un bilan de sens © . Enfin, ma part « girafe » peut s’exprimer pleinement ! En effet, je trouve enfin quelqu’un qui m’écoute et donne de l’importance à mon besoin de sens, m’aide à explorer mes rêves et projets les plus fous, et nous finissons par en dégager quatre domaines d’intérêt concret (sciences naturelles, éducation des jeunes enfants, éducation Montesorri et CNV –tiens donc ?).
Mon dernier travail d’ingénieure : larguez les amarres !
A l’issue de ce bilan de sens, pas tout à fait prête à lâcher l’ingénierie, je suis embauchée en CDD par un bureau d’études. Au début je suis enthousiaste et reprend goût au métier. Puis rapidement, le stress et les contraintes reprennent le dessus. Crises d’angoisse, arrêt de travail.
J’entame un travail d’accompagnement avec une thérapeute CNV (voir le descriptif de l’accompagnement individuel – lien). Elle m’aide à écouter la part « ingénieure » et ses peurs, ainsi que la part « girafe » qui perd pied. Petit à petit, je prends la décision de partir de ce travail. Des éléments extérieurs viennent me conforter dans ma décision : suicide d’un ami suite à une dépression, burn out d’un proche et projet d’avoir un deuxième enfant.
Ainsi, un beau jour, c’est à bout de forces que je vais parler à mon supérieur et, en pleurs, lui annonce que je souhaite quitter l’entreprise à l’issue de mon CDD. Mes pleurs me valent une jolie réplique de sa part : « Mais tu es trop sensible, c’est sûr que tu as un problème… » Je souris : typiquement le genre de phrase que j’aurais pu dire avant d’avoir connu la CNV (voir mon post sur le sujet –lien) !
Aujourd’hui, je me félicite chaque jour de ma décision et je me sens libérée. De plus, je prends le temps pour suivre des stages de CNV avec le projet d’entrer dans le parcours de formation pour devenir (qui sait, un jour ?) formatrice CNV. En termes de réalisation de soi, de sens, d’échanges humains riches et de connexion à soi, je crois que je vais être servie !
Et vous, où en êtes-vous par rapport à votre travail ? Avez-vous déjà envisagé une reconversion professionnelle ? Quel est votre parcours ? Je serais ravie de lire vos partages dans les commentaires.
Pour aller plus loin
Voici une vidéo d’une spécialiste des parts de soi, Isabelle Padovani (Multiples Aspects Intérieurs – lien) :
Et également un excellent podcast, de Sophie, paumée dans ses émotions et dans sa vie (c’est elle qui le dit), avec les interviews de Thomas d’Ansembourg et d’Angelo Foley sur les apports de la CNV :
Impressionnant tout ce que tu as transformé! Je me retrouve dans ton article car on a tous connu des situations où nos besoins se confrontent. Mais parfois on n’arrive pas toujours à le formuler. Merci pour ton article !
Merci Eliane pour ton retour. Eh oui et le chemin peut être long avant de trouver la solution qui permet de retrouver la paix entre nos besoins qui semblent se confronter.
Cet article, trouvé « par hasard » sur Facebook résonne. Je suis également ingénieure et depuis 2/3 ans j’ai pris une nouvelle voie. Je suis formatrice en communication bienveillante, principalement dans la relation adultes / enfants. Je ne peux dire si cette création d’activité sera pérenne mais je suis convaincue que quoi qu’il arrive, je serai toujours heureuse d’avoir tenté l’aventure 🙂
Bonjour Aurélie !
Merci pour ton retour, je suis heureuse de voir que tu as été touchée par mon partage et qu’il résonne pour toi. Je m’intéresse aussi beaucoup à la relation parent-enfant (tu pourras voir mes 2 articles de blogs sur le sujet). J’espère que ton activité pourra t’apporter la stabilité financière et le bonheur attendu.
Nathalie
Bonjour Nathalie,
Je suis « tombé » sur ton article, certainement pas par hasard. J’ai vécu une situation similaire et j’ai démissionné après 17 ans dans la banque et des arrêts maladie. Je suis remplie d’espoir quand je vois que de plus en plus de personnes ont des prises de conscience, dont l’origine est souvent liée à l’arrivée d’un enfant.
J’ai suivi plusieurs formations en CNV, quelle richesse, quelles découvertes de ce qui se passe en nous.
Je me lance dans une formation d’éducatrice Montessori. Je vois que tu avais également envisagé ce choix.
J’ai créé un blog sur la parentalité positive car il me semble essentiel que les parents trouvent des ressources face à cette grande responsabilité que d’être parent. Les enfants sont tellement extraordinaires. Il nous manque des outils pour les comprendre et les accompagner. La CNV m’aide énormément.
Au plaisir de te lire.
Fabienne
Merci Fabienne pour ton commentaire ! Je suis ravie de lire que cet article t’as touchée. C’est pour ce genre d’échange enrichissant que j’ai créé ce blog.
J’irais voir ton blog ça m’intéresse. J’ai 2 articles sur la parentalité et la CNV… Mais il y aurait de quoi écrire un livre ! J’adore l’éducation Montessori qui est pleine de bon sens, pleine de confiance dans les capacités de l’enfant. Je te souhaite plein de bonheur dans ta nouvelle voie.